samedi 19 novembre 2011

"Les réfugiés ne sont pas le problème mais des personnes ayant des problèmes".

Entretien avec le congolais M. Kuhikoshi Musikami, jeune président de l’ONG des droits de l’homme PPDR qui nous présente son organisation basée à Kampala, Ouganda.






Il est souvent tiré à quatre épingles, ce qui lui donne l’halure d’un jeune banquier. Et lorsqu’on lui en fait la remarque, il parait surpris « Ah bon ? C’est peut-être à cause de mes responsabilités !» s’exclame-t-il, modeste. Mais lorsqu’il troque sa veste pour un T.shirt, vous ne lui donnerez pas plus d’une vingtaine d’années de vie. Erreur : ce jeune congolais assis devant nous est âgé de 32 ans et célibataire, il est le président du Haut-Conseil du People for Peace and Defense of Rights (PPDR) une ONG des droits humains comportant pas moins de 48 membres de diverses nationalités (rwandais, somaliens, ougandais et congolais) qui existe depuis 2002, année où il est venu de son Bukavu natal, après deux années de Droit dans un institut supérieur du Kivu.

S’il est de taille courte cela ne signifie pas qu’il est à court d’idées. Au contraire, lorsqu’il parle, il se fait persuasif et vous décelez en lui cette détermination farouche d’atteindre les objectifs qu’il s’est assigné. « Je suis un homme de conviction et je détiens sans doute une force spirituelle interne tant par mon éducation que par mes compétences ». L’homme est d’un abord réservé mais en face de lui vous vous rendez tout de suite compte que ce n’est pas par hasard qu’il a été placé à la tête du PPDR. Il nous a accordé l'interview suivante.


 Votre ONG, PPDR, est une ONG des droits humains. N’est-ce pas une ONG de trop étant donné l’abondance des organismes qui œuvrent dans ce secteur localement ?

D’emblée, il rejette l’objection d’un revers de main : “Nous avions trouvé un terrain vierge, non couvert. Nos objectifs c’est de mobiliser les refugiés sur les questions des droits humains et de leur donner des mécanismes pour les protéger. Donner des informations impartiales sur la situation des droits des refugiés Par ailleurs nous voulons œuvrer pour la promotion de la paix dans la région des Grands Lacs et décourager le recrutement des membres des groupes armés qui opèrent localement. Enfin nous nous efforçons de lutter pour une cohabitation pacifique des différentes couches de la population dans la région des Grands Lacs.

Donner une information « impartiale » sur les refugiés. Pouvez-vous être explicite ?

Puisque l’information véhiculée sur les refugiés ne reflète pas toujours la réalité : allez sur l’internet et vous ne trouverez que des gens affamés, misérables, vivant de la mendicité. PPDR pense le contraire. Nous ne pensons pas qu’être un refugié est synonyme de cela. Le vrai problème c’est la violation des droits des refugiés et notre mission est de redresser les questions des droits de l’homme des refugiés. Dans beaucoup de cas les media présentent la question liée aux refugiés comme un problème. PPDR pense que les refugiés ne sont pas un problème mais plutôt des personnes qui ont des problemes.


… Décourager le recrutement des groupements armés ?

Oui, depuis l’an 2000 il est notoire que nombre de groupes armés ont vu le jour dans ce pays. Pour cela nous menons des campagnes de sensibilisation auprès des jeunes et faisons pression sur le gouvernement de l’Ouganda afin qu’il respecte les conventions internationales (suivant les principes de coexistence pacifique et bon voisinage) qu’il a 
signé. Nous aidons les jeunes à comprendre que le moyen d’accéder au pouvoir ne se fait pas à travers des milices. Il existe d’autres alternatives : la voie démocratique. Et non en sabotant la paix dans la région des Grands Lacs.

 Que suggérez-vous concrètement ?

Notre conviction est que la paix dans la région passe par le règlement de la question des FDLR [milices hutus rwandaises ayant fui le Rwanda à la suite du génocide de 1994 et actuellement œuvrant dans l’Est de la RDC].Le règlement définitif de la question des FDLR passe, à nos yeux, par la démocratisation du Rwanda. Tant que les questions de l’ethnicité et de l’accès au pouvoir et une gouvernance inclusive ne sont pas n’abordées, il n y aura pas de paix dans la région. A propos des FDLR vivant en RDC, nous pensons que certaines solutions sont possibles. Par exemple leur intégration locale. Nous défendons l’idée du refugié éternel. Que les gens aient cette possibilité sans être inquiétés. Que ceux d’entre eux qui veulent rentrer au Rwanda disposent des garanties que leurs droits seront respectés.

Il n’est pas courant que des responsabilités soient accordées aux congolais ici à cause d’un certain comportement qui laisse à désirer. Que faites-vous pour aller à contre-courant de la perception générale défavorable envers nos compatriotes ?

Etre accepté n’est pas toujours facile. C’est pour cela nous avions mis au point un programme « behavior change ».Il nous faut d’abord nous interroger nous-mêmes pourquoi nous sommes mal perçus. Nous avions mis au point un programme d’éducation civique au cours duquel nous enseignons aux gens à bien vivre en communauté. Par ailleurs à travers des séminaires, des conférences, nous encourageons nos compatriotes refugiés ici à se prendre en charge. Nous organisons aussi des cours d’anglais gratuits a l’intention des refugiés.



Quels sont vos moyens d’actions en vue d’atteindre les objectifs que vous vous êtes assignés ?


Nous organisons des campagnes de sensibilisation, écrivons des lettres aux membres du gouvernement et précisément aux ministres de la Défense, celui de la Sécurité ainsi que celui de l’Intérieur. En 2004, lorsque Monsieur Kin-Kiey Mulumba (alors Porte-parole du RCD/Goma) organisait un meeting en vue recrutement des membres de la milice dans un stade de Kampala, nous avions tenté d’organiser une manifestation de protestation qui fut interdite par le gouvernement ougandais.

Quels sont les challenges auxquels vous faites face ?

Les difficultés auxquelles nous nous buttons sont nombreuses. La plus grande est l’accès aux fonds (found raising). Ensuite il y a l’expertise de nos membres en matière des droits humains ainsi que la difficulté de certains d’entre eux de s’exprimer en anglais. Enfin il y a cette indifférence de HCR et de l’OPM [Office of Prime Minister, lequel a en charge les questions des refugiés dans le gouvernement de la République d’Ouganda].Il nous semble que le HCR ne cherche pas à s’assurer que le refugié dispose des conditions minimales (basics needs). Chaque fois que nous les contactons pour ce faire, nous nous buttons à un mur d’incompréhension et ils ne coopèrent pas.

Et vos perspectives d’avenir ?


 Nous voulons un refugié autonome, indépendant, capable de résoudre lui-même ses problèmes. Nous voulons que les peuples de la région des Grands Lacs arrivent un jour à partager leurs ressources et leur prospérité. Nous rêvons de vivre dans une région où les droits de l’homme sont garantis pour tout être vivant.

Propos reccueillis par Emmanuel Ngeleka

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire