jeudi 22 décembre 2011

Ce qui freine la scolarisation des migrants au pays de Mandela


Fidèle à sa vocation, le Centre pour les Droits d’Education et Transformation de l’Université de Johannesburg a publié il y a peu une brochure intitulée "Les droits d’éducation des refugiés et migrants", fruit d’une année de recherche sur les droits à l’éducation des migrants vivant en Afrique du Sud. Elle était menée dans les provinces de Gauteng, le Limpopo ainsi que le Western Cape sous forme d’interviews des élèves et parents d’élèves.

 Dans une livraison précédente, nous avions introduit l’intéressante étude d’après une traduction de l’article de l’hebdomadaire d’investigation "Mail & Guardian" de Johannesburg et indiqué de façon liminaire certains détails s’y rapportant. Cette fois,  nous en publions la suite où il est énuméré les cinq facteurs que les auteurs de la recherche présentent comme faisant obstacle à un accès facile aux institutions d’enseignement par les enfants des parents demandeurs d’asile, migrants ou refugiés en Afrique du Sud.

Manque de prise de conscience de leurs droits
La plupart de parents immigrés interrogés par les chercheurs n’étaient pas conscients de leurs droits à l’éducation. Quant à ceux qui en étaient déjà informés, ils ignoraient cependant toute procédure pour les réclamer ou comment entrer en contact avec des organisations qui pouvaient les aider à parvenir à leurs fins. Il faut dire que les responsables des écoles ne les aident pas non plus.

 Fait intéressant, tous les participants à la recherche se sont montrés disposés à en apprendre davantage sur leurs droits, avec un bémol car la majorité manifestaient une certaine réticence, suggérant que même dans le cas où ils étaient bien au fait de la loi sur l’éducation, ils n’étaient pas sûrs que le gouvernement local tenait autant qu’il était écrit à ce que les immigrés aient droit réellement à un enseignement gratuit. 

L’obstacle financier
En Afrique du Sud, les demandeurs d’asile et migrants n’ont pas seulement le droit d’avoir accès aux soins de santé dans des hôpitaux et cliniques, ou aux ARVs pour les malades de SIDA. Ils ont également le droit à une éducation gratuite.

La loi qui régit l’éducation dans le pays, le National Education Policy Act de 1996 stipule qu’aucun enfant "ne devrait être suspendu de l’école, ni se voir refuser la participation aux activités sportives ou culturelles, se voir refuser l’octroi d’un bulletin ou la carte de transfert, ou même culpabilisé, simplement puisque ses parents ne disposent pas ou ne peuvent pas lui payer les frais scolaires". Le même document recommande aux directeurs d’écoles et leurs administrations d’informer tous les parents au sujet du droit qui est le leur de solliciter  ou non l’exemption des frais scolaires.
                                                                                                   
Au vu du travail  mené par les chercheurs dans le passé, l’obstacle financier apparait comme le principal frein contre l’accès des enfants des migrants aux institutions d’enseignement en Afrique du Sud. A ce sujet, une étude datant de 2003 avait déjà établie que 26% des enfants des migrants du primaire et 39% du secondaire ne fréquentaient pas l’école à cause du manque de frais scolaires.

Il faut reconnaitre que cette situation se justifie aussi parce que nombreux ignorent la loi, ce qui entretemps permet aux écoles de percevoir le plus d’argent possible. Mais ce qui préoccupe les chercheurs actuellement, c’est de faire une évaluation depuis l’introduction du système d’exemption.

En réalité, les chercheurs ont trouvé que certains refugiés recevaient des lettres de menaces pour des créances non honorées envers les écoles, ce qui avait pour conséquence de les conduire à vivre dans la psychose d’être soit traduits en justice, soit de voir leurs enfants chassés de l’école,  ou pire, de se voir eux-mêmes expulsés du pays. Il est des cas où certains enfants restaient chez-eux pour aider les parents pendant toute une année, histoire de permettre à ceux-ci de réunir de quoi supporter la scolarité pour l’année suivante.

Même dans le cas où les refugiés étaient capables  d’obtenir cette exemption, il existait toujours des difficultés à cause de l’inhibition d’être considéré comme bénéficiaire de l’aide gouvernementale. Beaucoup de parents refugiés ont reconnu se sentir gênés ou même honteux à la seule pensée de pouvoir solliciter et bénéficier d’une telle aide.  Les enfants qui en bénéficient pour leur part sont souvent victimes de moquerie de la part de leurs collègues à l’école.

 L’attitude des autorités scolaires n’est pas pour arranger les choses, soit  lorsqu’ils refusent de distribuer les formulaires d’exemption des frais scolaires au sein de leurs écoles, soit en affichant leur désapprobation aux parents qui en sollicitaient.

 La xénophobie et la culture
On a tort de considérer les refugiés comme un groupe homogène, car des nombreux rapports des chercheurs ont jeté la lumière sur la diversité représentée par les facteurs que sont le langage, la nationalité, la classe sociale, la religion et la culture.

On a rapporté que des élèves avaient été illégalement chassés des écoles au motif qu’ils ne parlaient pas l’Anglais. Dans la province de Limpopo par exemple, la plupart de migrants s’expriment en Ndebele et Shona ou Xitsonga [langues parlées au Zimbabwe] tandis que les langues d’instruction dans les écoles  étaient le Tshivenda, le Sotho du Nord ou le Xitsonga.  Tout élève trouvé en train de s’exprimer dans sa langue maternelle était puni.  Dans ces conditions, il était difficile aux parents [puisqu’ils ne parlaient pas les langues locales, lesquelles étaient les langues d’enseignement], d’aider leurs enfants à faire des devoirs scolaires.
                                
"Les enseignants refusent de nous expliquer les matières en parlant lentement ou préfèrent le faire en Zulu ou Sotho", avait déclaré Angela (pas son vrai nom), un élève issu d’une famille de 7 enfants et qui vit avec ses parents dans un appartement à deux chambres à coucher dans un faubourg de Johannesburg. "Certains enseignants se plaignent des étrangers qui seraient nombreux dans leurs écoles", a dit Angela aux chercheurs.

La xénophobie pose parfois des problèmes de sécurité lorsque les élèves, pour se rendre dans des écoles, empruntent les taxis ou les trains. Les chercheurs ont indiqué que dans certaines écoles de la province de Gauteng, les élèves Somaliens étaient victimes de discrimination de la part des enseignants ou d’autres personnes qui se moquaient d’eux puisqu’ils portaient le voile. Une jeune fille vivant au Limpopo était surnommée "sorcière" et "prostituée" par son enseignant "puisque tous les Zimbabwéens le sont". Un autre élève dans une école de Musina a dit que les autres enfants ne voulaient pas jouer avec lui "puisque les Zimbabwéens puent".

De toute évidence, les parents migrants se sentent incapables d’influer en quoi que ce soit sur les autorités scolaires des écoles que fréquentent leurs enfants. Un tuteur de deux enfants finalistes du secondaire exprimait des doutes quant à la qualification de certains des enseignants  des enfants dont il assurait la garde. Il n’était pas non plus satisfait du programme scolaire. Mais lorsque les chercheurs lui ont demandé interrogé comment il escomptait résoudre le problème, il a déclaré : "En tant que migrant, il  n y a rien que nous puissions faire. Où pourrions-nous aller nous plaindre ? Qui pourrait nous écouter ?"

Le "cauchemar" des papiers
Les enfants nés des immigrants en Afrique du Sud sont supposés avoir les mêmes droits que les sud-africains de naissance, celui à l’éducation compris. Mais pour jouir de ce droit, les enfants doivent brandir une attestation de naissance valide.

La plupart d’écoles exigent la présentation d’attestation de naissance avant l’inscription. Théoriquement, un Permis de demandeur d’asile (section 22) est suffisant pour permettre aux parents de solliciter ce document au bureau du Home Affairs (ministère de l’intérieur local) pour leurs enfants. Mais l’étude montre qu’en réalité ces Permis ne sont pas acceptés au Home Affairs, situation qui rend difficile l’inscription des enfants à l’école.  

"J’ai tenté par tous les moyens d’obtenir un certificat de naissance en vain", a dit une mère de famille zimbabwéenne qui vit en Afrique du Sud depuis 2003. "Je dispose d’un Permis de demandeur d’asile mais ils [Home Affairs] disent qu’ils ne peuvent pas en établir pour moi car je ne dispose pas d’un passeport sud-africain. Ils m’ont prié d’aller en chercher au Zimbabwe".

La recherche suggère que l’importance accordée à la présentation de l’attestation de naissance ainsi que l’exigence faite aux élèves de postuler une année auparavant comme condition pour être inscrit dans une école, sont des moyens d’écarter systématiquement les enfants migrants des institutions scolaires et l’établissement des notions de "celui qui a"  et "celui qui n’a pas".

Presque tous les migrants interrogés dans l’étude ont reconnu rencontrer des difficultés dans l’obtention des documents au Home Affairs. L’une des interviewée indique qu’elle tente sans succès depuis dix mois d’obtenir la prorogation du Permis. A présent, le délai est dépassé, ce qui lui a valu de passer quelques jours en prison, laissant ses enfants sans surveillance. "Ne pas disposer des papiers en règle en Afrique du Sud, c’est ne pas jouir de ses droits humains", a écrit le chercheur Mackay. "Personne ne peut étudier, se faire soigner ou même ouvrir un compte en banque sans le Permis de demandeur d’asile".

Mais la situation est plus difficile encore pour les mineurs non accompagnés. Ceux-ci doivent faire des tours entre les ministères des affaires sociales et Home Affairs. Présenter les examens des humanités (matric) est difficile aussi. Un jeune de 19 ans qui vit au Limpopo s’est vu notifié par son école de présenter un passeport sud-africain s’il tenait à présenter les examens de fin d’année. Il a du souci à se faire. Le Home Affairs lui dit qu’il ne peut lui établir un passeport sud-africain puisqu’il n’en a pas la nationalité. Le centre pour mineurs non accompagnés qui l’héberge lui demandera bientôt de voir ailleurs étant donné qu’il a dépassé l’âge requis pour y habiter (18 ans).

Certains refugiés ont perdu maisons et écoles dans le feu, tandis que d’autres parmi eux ont échappé à des conditions de guerre ou de guerre civile. Toutes ces conditions ne permettent pas de disposer des bulletins originaux ni de  demande de transfert exigés dans des écoles sud-africaines.

Si l’on se réfère à la disposition relative à l’inscription des élèves dans des écoles publiques, les directeurs d’écoles devraient aider les parents d’obtenir les documents s’ils ne sont pas en leur possession, mais entretemps l’élève pouvait être pris sous conditions. Dans un délai de trois mois, si le document n’était toujours pas disponible, l’administration de l’établissement où étudie l’enfant, en consultation avec les officiels du district, devraient s’enquérir du problème.

Conformément à la loi locale, même un élève dont le statu légal rester à déterminer (puisque sans papiers valides) peut toujours se faire inscrire dans des écoles publiques si un parent ou tuteur peut fournir une preuve attestant qu’une demande des documents légaux a été faite auprès des autorités compétentes [Home Affairs] pour rester dans le pays. L’étude indique que ces procédures n’étaient pas respectées mais plutôt violées.

L’application des recommandations gouvernementales rencontre beaucoup d’obstacles dans les trois sites étudiés (Gauteng, Limpopo et Western Cape). Un refugié vit en Afrique du Sud depuis 13 ans sans obtenir ni de résidence ni de nationalité, ce auxquelles il a droit après 5 ans, selon la loi. "A la seule pensée de mener les démarches pour renouveler mon statu de refugié et celui de ma famille me stresse et me donne des cauchemars", a-t-il avoué aux chercheurs.

Des nombreux rapports indiquent que les agents de Home Affairs intimidaient les refugiés au point que les usagers préféraient "plutôt garder le silence que provoquer la colère des agents".

Ce qui est frappant est que tous les chercheurs reconnaissent que la xénophobie provient de la perception selon laquelle les migrants prennent les emplois destinés aux citoyens du pays, gagnent plus d’argent et contribuent à la hausse de la criminalité. Cependant, les groupes de chercheurs ont découvert que les refugiés recourent peu aux services sociaux et la plupart sont jeunes et motivés au travail, créent même les emplois et apportent des idées nouvelles et richesse à propos de la vie, la culture et l’art.

Salim Vally, le coordonateur de la recherche, a dit qu’il existait une autre raison intéressante d’accepter les jeunes refugiés : ils nous donnent la possibilité d’agir avec humanité. "Rappelez-vous que Einstein a été un refugié, et notre pays peut avoir affaire à quelques Einstein sans le savoir".

 Est-ce encore la xénophobie ?
Des menaces renouvelées et organisées contre les immigrants  durant près de deux semaines à Alexandria, à Johannesburg, soulignent l’urgence qu’il faut accorder aux liens que doivent entretenir les organisations de société civile sud-africaines et celles des migrants. C’est ce qu’ont déclaré les chercheurs récemment.

En octobre 2011, la police était en alerte suite à une tension ayant vu le jour à Alexandria [faubourg de Johannesburg] quand les locaux menaçaient et forçaient certains immigrants à déménager, les accusant d’occuper les habitations gouvernementales destinées aux citoyens sud-africains.

Les chercheurs disent que c’est l’échec des promesses faites à la classe moyenne  dans l’agenda socioéconomique du gouvernement et la pauvreté ambiante qui suscitent un ressentiment auprès des défavorisés. Et la xénophobie en est une des manifestations.

Cet échec contribuait à ce que les défavorisés locaux s’en prennent à ceux qui sont aussi des victimes et plus vulnérables qu’eux, ont dit les chercheurs. L’étude insiste sur le fait que la lutte pour un système d’éducation de qualité pour les sud-africains ne devrait pas ignorer les droits des migrants et refugiés.


Traduit de la deuxième partie l’article "Lifting the veil on migrants and myths" de Kathleen Chaykowski paru dans  " Mail & Guardian" de Johannesburg du 28/10/2011

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